L'utopie dans la baluchon et un film qui ne ressemble à rien

Publié le par Ich Bin Eine Terroristin

Là, c'est Valérie Gaudissart qui répond à des questions que des spectateurs lui posent souvent :


D’où t’est venue cette histoire ?

Des lettres de prison de Rosa Luxemburg, et d’un livre que j’ai trouvé il y a 14 ans déjà ! dans une librairie lorsque je me passionnais pour les correspondances d’écrivains. Je cherchais l’intime, les coulisses sentimentales de la création, je cherchais des connivences, des soeurs, des frères, d’écriture. Et j’ai reçu ce livre comme un cadeau que la vie m’avait fait, et comme Violette dans le film, j’ai tellement lu et relu ces pages que je les connaissais par coeur et je me les récitais. De par leur lumière, elles m’ont non seulement accompagnée, elles m’ont aussi fait comprendre que c’est par une tenue morale obstinée, par une passion pour les humains, les humaines et tout ce qui est vivant, que l’on arrivait à dire des choses aux autres, qu’on pouvait les aider à exister.
Je voulais à mon tour transmettre cette force-là, cette vision politique féminine singulière. Je ne voulais pas la garder que pour moi, je pensais qu’elle pouvait être utile et qu’elle pouvait me permettre de communiquer avec les autres, les toucher. Ainsi est arrivée l’histoire de Violette, cette fugueuse qui est un vrai poil à gratter pour son entourage, qui va remuer dans les brancards et qui va bouleverser ceux qu’elle croise avec des mots. Son livre de Rosa, c’est son passeport, sa bombe, sa boussole, sa carte du monde.

Où as-tu déniché ta jeune actrice ?

Dans un cours de théâtre à Clermont-Ferrand. Je pensais que ce serait compliqué de la trouver, qu’elle me faudrait des mois à parcourir les écoles de France pour trouver une gamine qui ait la verve, le courage et l’intelligence du rôle. Et finalement ça m’a pris une journée ! J’ai vu une trentaine de gamines à qui j’avais donné un monologue à interpréter. Au départ je pensais que le personnage de Violette avait 13 ans. Et puis finalement, Mathilde Besse est arrivée avec ses dents écartées, ses 10 ans et 4 mois, ses cheveux jusqu’aux fesses. Elle incarnait le texte, c’était évident, et à la fin, elle a juste ajouté : “Vous savez, mon père, il lit Libération”. À partir de là, je savais que les parents allaient soutenir le projet. Et moi, j’ai compris que 11 ans pour le personnage, c’était mieux que 13, ça le mettait plus en contact avec l’insouciance de l’enfance, ça le rendait plus émouvant en l’éloignant de la rébellion de l’adolescence.
Je l’ai dirigée comme on dirige une actrice adulte, je n’ai pas fait de différence entre elle et les autres acteurs. Pour la préparer au rôle, je lui ai demandé de dessiner Rosa et de décorer la chambre de Violette. Cette chambre, on ne la voit pas dans le film, quasiment pas, mais le décor qu’elle a conçu lui a permis d’intérioriser le personnage.

Pourquoi ce titre en allemand ?


Ce titre, ce n’est pas moi qui l’ait trouvé. C’est le Mur de Berlin. C’est inscrit sur un vestige du Mur sur la Potsdammer Platz, en légende d’un portrait de Rosa fait au pochoir. Comme je raconte l’histoire d’une petite Française qui s’incarne dans une révolutionnaire allemande, cette phrase était toute trouvée, elle sonne aussi comme son slogan personnel.
Et pour Violette, les frontières n’existent pas, aussi bien celles qui partagent les nations que celles qui séparent les gens qui ne parlent pas la même langue. Moi aussi j’adore travailler ou vivre dans une langue que je ne maîtrise pas, car ce sont les moyens, les ruses que l’on invente pour communiquer qui sont passionnants et qui font qu’on appartient à l’espèce humaine, tout simplement.

D’où vous est venue l’idée de mélanger fiction et documentaire ?


Il y a plusieurs raisons à ça, à ce dispositif.
Ça a quelque chose à voir avec les frontières : y a-t-il vraiment une opposition probante entre le monde réel et le monde imaginaire ? Ce qu’il y a de chouette chez l’être humain, c’est qu’il puisse vivre autant dans sa tête que tourné vers l’extérieur, autant dans ses rêves, nocturnes ou éveillés, et ses désirs que dans son quotidien. Donc, je voulais que le film ressemble à ça, à cette capacité et à cette chance que nous avons de pouvoir vivre sur plusieurs registres à la fois.

Et puis je voulais que l’initiation de Violette rencontre aussi le monde réel, “les vrais gens”, que son périple ne soit pas que fantasmé, que mis en scène et maîtrisé par moi, mais qu’il aille se colleter à la réalité d’aujourd’hui. C’est un clin d’oeil aux spectateurs, ou un coup de pied aux fesses. Oui, cette gamine va essayer à son niveau de changer le monde, vous aussi, vous pouvez essayez. Il n’y a pas de fatalité, on n’est pas obligé d’accepter un monde injuste et mou.

Et puis je crois que je fais des films pour rencontrer des gens. Beaucoup d’entre eux sont passionnants, pour peu qu’on prenne la peine de les écouter.
Les gens, “les vrais gens” que l’on voit dans le film, ce sont les gens que Rosa défendrait aujourd’hui tout comme elle les défendait il y a 100 ans.
Alors, quand on s’installait quelque part pour tourner, on l’annonçait, et les gens venaient nous rencontrer ou nous allions à leur rencontre. Je leur disais : “Vous avez quelque chose à dire, c’est le moment, dites-le, ce film en a besoin et va vous en donner la possibilité”. Et les gens se bousculent pour ça, pour cette possible prise de parole, pour cette reconnaissance de leurs parcours et de leurs existences singulières, et pour pouvoir faire de leur expérience quelque chose de créatif et de transmissible. Et cette parole était d’autant plus facile à donner qu’ils avaient affaire à une enfant, pas à un adulte. L’enfant, on a envie de l’accueillir, de le protéger et de lui raconter. C’était assez magique de voir que le personnage de cet enfant mettait tout le monde en confiance, et que cet enfant faisait du coup sauter les barrières entre la fiction et la réalité. C’était lui parler qui était important, et peu importait que ce soit un personnage de film et que Violette s’appelle Mathilde Besse dans la vraie vie.
Moi, c’est cette confusion qui m’intéresse, ces frontières flottantes entre réalité et fiction car je crois que peut naître de celle-ci une émotion, une vérité. Et puis, comme il y a plein de monde dans le film, jamais on ne se dit que c’est un film fauché, on n’y pense même pas. C’est comme si on avait transformé le manque d’argent en foule de gens.

Je vous donne un exemple : j’ai écris dans mon petit coin cette scène avec les passeurs et les clandestins dans un camion. Au moment du tournage, je suis allée chercher des gens qui pourraient jouer ces clandestins, des gens qui l’étaient ou l’avaient été, car je voulais leur donner une place. Donc, nous avons trouvé une famille de Kosovars qui avait été clandestine depuis plus de 10 ans en Allemagne et en France. Et puis nous tournons cette scène dans le camion, et là, malgré le dispositif de fiction (nous sommes tous enfermés dans le camion avec une caméra, une perche, le camion roule à 2 à l’heure), et bien malgré ça, remonte une émotion chez eux d’une expérience vécue et ils ses laissent déborder par elle. Ils avaient vécu exactement la même scène à la frontière autrichienne : un gamin kosovar qui n’avait pas d’argent et qui s’était fait jeter du camion par des passeurs. Alors, est-ce du documentaire, de la fiction ? ça n’a pas beaucoup d’importance quand on est devant cette force et cette émotion-là. C’est du cinéma, c’est tout.
Le film est habité de plein de choses comme celles-ci, il n’y a pas de hasard quand quelqu’un s’invite dans un film.


Tout ça fait que ce film ne ressemble à rien, non ?


Je voulais un film qui ressemble à la gamine, hors du commun, ouvert à l’aventure, culotté, insolent parfois, touchant souvent, doué pour les rencontres et très drôle aussi. En ce sens, proche de l’enfance. C’est pour ça aussi, que le film est très musical, très chanté. Les gamines adorent chanter. Alors la musique a du coup dans le film une place très singulière, qu’on ne voit pas vraiment au cinéma. C’est comme une voix intérieure, une voix-off chantée. Qui donne un rythme au film, qui suit le mouvement du voyage et en même temps qui nous donne accès aux sentiments profonds du personnage. D’ailleurs nous avons composé beaucoup de chansons avant les différents tournages, elles ne figurent pas forcément dans le film fini, mais elles ont coloré les tournages, tout le monde les connaissait et les chantait, aussi bien Mathilde que l’équipe technique. C’était un tournage musical, on nageait donc dans une ambiance spéciale.

Je voulais aussi que le film rebondisse dans sa narration, sa structure, comme Violette rebondit pendant son voyage. Qu’il ne soit pas carré, linéaire, mais qu’il prenne des détours et qu’on se laisse porter en tant que spectateur par ce qu’on reçoit. Alors il y a des moments exaltants dans le film, et d’autres qui le sont moins, plus intériorisés, plus flottants. C’est voulu, c’est comme dans un vrai voyage, des fois on est paumé ou fatigué, et puis quelque chose, une rencontre va vous remettre sur la route...

Alors, c’est sûr, le film est fait en totale liberté, hors du moule, avec des moyens très modestes totalement en cohérence avec son propos. C’est ma réponse à l’emprisonnement de Rosa, à son empêchement, à son assassinat. Je me devais de faire qu’un film inspiré par sa vie soit sans carcan d’aucune sorte, sans calcul, sans stratégie. Un film qui rue dans les brancards, comme son personnage central, comme Rosa aussi.


C’est quoi le message du film ?


Le projet a aujourd'hui  l’âge de ma fille Sidonie (qui chante dans le film) et l’âge de Mathilde (qui joue dans le film). C’est un film pour toutes les gamines, leurs copains, les sales gosses qui demandent des comptes au monde et qui essaient à leur niveau de le changer. Etre un sale gosse n’est pas une question d’âge, plein de gens le sont restés, plein de gens aimeraient toujours que la vraie vie soit comme la vie rêvée. Après, chacun fait ce qu’il veut de son utopie personnelle, selon ses convictions et ses expériences, le film dit simplement qu’on n’a pas à se résigner à un monde qui ne nous convient pas.
J’avais peur que le film soit démodé une fois terminé, car on a mis très longtemps à lui trouver des financements. Eh bien finalement non, c’est tout le contraire, il est totalement de son époque et dans l’actualité. Il vient toucher les consciences politiques en éveil, et pas uniquement en France.

Quel est ton parcours ?


Je n’ai pas fait d’école de cinéma, je me suis formée en faisant, en me lançant, en fabriquant finalement déjà pas mal de films. J’ai pensé à un moment donné que je rêvassais trop, et qu’il fallait que je fasse de ces rêves éveillés des rêves sur un écran, pour les autres. C’est comme ça que je suis venue au cinéma. J’ai vu beaucoup de films mais je ne peux pas dire qu’ils m’aient véritablement formée. Par contre, je pense souvent à Cassavetes et à Moretti parce qu’ils ont fait et font une oeuvre qui est en cohérence avec leur vie et leurs engagements. Ça, ça me touche beaucoup et ça me porte, cette façon d’être en accord avec soi-même.

Valérie Gaudissart Potash
29 novembre 2010

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